Le miroir au-delà des nuages : Yôkais

Je me suis réveillée au beau milieu de la nuit. Quelque chose cognait contre la vitre de la porte coulissante de mon balcon. Le bruit m’a rappelé celui des insectes qui fonçaient dans les fenêtres en été, rendus fous par la lumière des lampes allumées à l’intérieur de la maison.

Mais là, ça devait être de très gros insectes. Le bruit était si fort que j’ai commencé à craindre que la vitre ne se casse.

Est-ce que quelqu’un lançait des cailloux ?

Le vacarme était terrible. J’étais étonnée que mes parents ne soient pas encore venus dans ma chambre pour voir ce qui se passait.

J’ai attendu un moment dans le noir avant d’oser tendre le bras vers l’interrupteur situé sur le mur au-dessus de mon lit. Quand j’ai allumé la lumière, je n’ai rien vu de différent de d’habitude.

Le bruit continuait.

J’ai tourné la tête vers la porte coulissante. Le rideau était tiré, comme je l’avais laissé avant de me coucher. J’ai respiré à fond et j’ai repoussé mes couvertures d’un geste décidé. Au moment où j’allais poser un pied sur le sol, j’ai vu une grande ombre flotter derrière le rideau. Je me suis figée.

L’ombre a disparu, mais j’entendais toujours la chose taper contre ma fenêtre et le carillon accroché sur mon balcon tintait comme si quelqu’un le secouait furieusement.

J’ai serré les poings et je me suis levée.

- C’est de l’autre côté de la vitre, ai-je raisonné à voix haute. Même si c’est un énorme insecte, il ne peut pas entrer.

J’ai frissonné à la pensée de l’Insecte. Je l’imaginais déjà avec d’énormes yeux de mouche rouges et des tas de mandibules baveuses répugnantes.

Je savais bien que, parfois, de minuscules animaux faisaient un raffut terrible. Comme la fois où je m’étais cachée sous mon lit et où j’avais refusé d’en sortir jusqu’à ce que ma mère attrape l’énorme chose que j’entendais. En fait, c’était une punaise pas plus grosse qu’un pois chiche. Ma mère avait trouvé ça hilarant et elle avait raconté cet épisode à tous ses amis.

Comment j’aurais pu savoir qu’un truc aussi ridicule était capable de faire un bruit d’avion à réaction ?

- C’est un insecte, ai-je marmonné. Un tout petit insecte de rien du tout.

Bien sûr, j’aurais eu moins de mal à y croire si je n’avais pas vu une ombre de la taille d’un vautour derrière les rideaux.

Je devais avoir mal vu, comme pour l’œil dans la porte. Ou c’était une branche d’un arbre voisin agitée par le vent.

J’aurais l’air idiote, si je réveillais mes parents et que c’étaient une punaise et l’ombre d’une branche d’arbre.

L’ombre s’est de nouveau approchée de la porte coulissante et un gros choc a fait vibrer les vitres si fort que j’ai caché mon visage dans mes mains. J’ai observé le rideau entre mes doigts. La vitre avait tenu bon.

Est-ce que c’était un corbeau devenu fou ? Quelques fois, on entendait parler de corbeaux qui mangeaient des chats et attaquaient les gens parce qu’ils ne trouvaient plus assez de nourriture.

J’ai attrapé le rideau à fleurs. J’ai compté jusqu’à trois et j’ai tiré dessus d’un coup sec avant d’avoir perdu mon courage.

Il n’y avait rien de l’autre côté de la fenêtre.

Le silence était revenu dans la chambre.

J’ai pressé mon visage contre le verre froid et je me suis tordu le cou pour essayer de voir jusqu’au seuil de la maison.

J’avais trop peur pour ouvrir la fenêtre.

Peut-être que c’était une ruse. Peut-être que ce qui avait tapé contre la fenêtre se cachait dans l’ombre en attendant que j’ouvre pour entrer.

Je n’ai rien vu. Finalement, j’ai refermé le rideau et je suis retournée dans mon lit.

J’avais à peine posé la tête sur l’oreiller que je me suis redressée.

Le tissus était mouillé et tiède. J’ai levé les yeux vers le plafond. Il y avait une zone sombre sur le plâtre. Une grosse tache d’humidité.

Elle n’était pas là quand je m’étais couchée.

Je suis restée sans bouger. Sans oser me recoucher ni me lever ou poser les pieds par terre.

Avec tout ce que j’avais vu aujourd’hui, j’avais soudain l’impression d’avoir de nouveau cinq ans, quand j’avais trop peur pour sortir de mon lit la nuit à cause des monstres qui aurait pu se cacher en-dessous.

J’ai envisagé d’examiner ma chambre avec le miroir. Après tout, il montrait des choses qu’on ne voyait pas à l’œil nu. Mais le bruit s’était enfin tu et je n’osais plus m’approcher de la fenêtre de peur qu’il recommence. Je n’étais plus non vraiment sûre de vouloir savoir de quoi il s’agissait.

J’ai de nouveau levé les yeux vers le plafond.

Ce n’était qu’une tache d’humidité. Rien qu’un peu d’eau. Ça pouvait arriver, ça n’avait rien de bizarre. D’ailleurs, je me souvenais avoir reçu de l’eau sur le visage le soir du typhon. Ça devait venir de là.

Un peu rassurée, j’ai écarté mon oreiller mouillé et je me suis couchée. Je devais aller au festival avec mes parents le lendemain matin et la fatigue me faisait frissonner. J’ai ramené mes couvertures sur ma tête en laissant juste un espace suffisant pour respirer. Je suis restée aussi immobile que possible en attendant que le jour se lève, l’oreille aux aguets.

J’ai fini par m’assoupir. Rien n’est venu me réveiller jusqu’à ce que ma mère ouvre la porte de ma chambre en me criant de me dépêcher si je voulais qu’elle m’aide à mettre mon kimono.

Je lui ai dit que de l’eau avait coulé du plafond pendant la nuit. Mais la tache d’humidité avait disparu et mon oreiller était sec. Ma mère a eu l’air de penser que j’avais rêvé.

Des ombres sûrement, a-t-elle dit. La nuit, on voyait facilement des choses qui n’existaient pas lorsqu’on était à moitié endormi. Quand à l’oreiller mouillé, j’avais pu transpirer ou baver sans m’en rendre compte et j’avais eu l’impression qu’il était trempé. J’ai protesté avec vigueur, mais elle avait l’air si sûre que c’était impossible que j’ai commencé à douter de moi. Je lui ai demandé si elle avait entendu quelque chose la nuit précédente.

- À part le chien des voisins ? Non. Je te jure, cet animal...

Elle a regardé sa montre et a tapé dans ses mains.

- Allez, debout ! Ton père est déjà parti depuis plus de trois heures.

Puis elle est sortie de ma chambre aussi sec. Je me suis assise en ébouriffant mes cheveux. Comme ils ne m’arrivaient qu’aux épaules, faire le chignon qui allait avec le kimono n’était pas trop compliqué.

J’ai enfilé mes chaussons. Maintenant qu’il faisait jour, ce qui s’était passé pendant la nuit n’avait plus rien d’effrayant. Oui, c’étaient sûrement des ombres au plafond et une guêpe perdue se cognant contre la fenêtre. Ou un rêve.

Parfois, les rêves ont l’air tellement réels qu’on est persuadé qu’ils se sont produits dans la réalité. Je me suis étirée et j’ai ouvert le rideau.

Je m’apprêtais à aller me laver le visage quand quelque chose a attiré mon attention sur la porte coulissante.

J’ai passé le doigt sur la vitre. Une fine fêlure courait sur environ deux centimètres à peu près à hauteur de mon visage. C’était la première fois que je la voyais.

Quoi que ce soit, quelque chose était là la nuit précédente.

Quelque chose qui voulait entrer dans la maison.

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